Présence de saint Joseph dans ma vie

 

L’Oratoire fait partie du paysage montréalais. Mon père m’a raconté qu’à l’âge de 10 ans — ce qui nous reporte en 1920 — il avait les oreillons et que cela le faisait terriblement souffrir.

De guerre lasse, sa mère a dit : on monte à l’Oratoire voir le frère André. Arrivés sur les lieux, ils se mettent dans la file d’attente ; parvenus devant lui, elle lui explique que son fils a les oreillons et que cela le fait beaucoup souffrir. Le frère André fait une petite moue, étend les deux mains sur les oreilles de mon père, sans les toucher. Et ils quittent. Mon père assure : la douleur est disparue dans l’instant, il ne restait plus rien.

1920 : c’étaient les grandes années de l’Oratoire. Le frère André recevait de 300 à 400 visiteurs par jour !

Je note que vers 2010, animant une ADACE à Notre-Dame des Bois, village éloigné de Montréal d’environ 250 kilomètres, j’ai raconté ce fait. Il y avait 12 personnes et sur les douze, trois connaissaient des gens qui avaient été guéris par le frère André. Moi inclus, trois sur douze.

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L’Oratoire fait partie du paysage montréalais. Enfant, mon père nous amenait à l’Oratoire une fois de temps en temps.

Comme tout bon canadien-français, j’ai reçu le prénom de Joseph comme troisième nom à mon baptême. Comme ma sœur a reçu le nom de Marie.

Étudiant au collège Brébeuf, une fois par année, au printemps, les élèves faisaient leur pèlerinage à l’Oratoire. En rang, deux par deux, vêtus de l’uniforme du Collège, nous montions pour une messe à l’Oratoire. Ce qui pour des pensionnaires était une grande sortie.

Puis, saint Joseph et le frère André se sont peu à peu estompés.

Converti en philo II au collège Sainte-Marie, devant le témoignage d’un professeur qui réalisait une intégration de la foi et de l’intelligence satisfaisante pour l’esprit, la foi chrétienne à laquelle j’ai adhéré était une vision du monde très riche. Cette approche intellectuelle de la foi chrétienne m’a sauvé la vie.

Étudiant en philosophie, à l’Institut d’études médiévales, puis en théologie chez les Dominicains à Ottawa, j’ai approfondi la foi comme vision intellectuelle où les dévotions populaires étaient regardées de haut ; sinon qu’à Ottawa on faisait une petite place à Marie, étant donné son importance pour saint Dominique!

Ce n’est qu’avec le temps que j’ai commencé à développer le souci de « la foi des pauvres », les gens à la foi simple étant aussi mes frères en Jésus Christ.

Revenu à Montréal, je me souviens de ces Nuits de la Pentecôte à l’Oratoire dans les années 1970. Attaché au Renouveau charismatique, dans lequel je voyais vraiment une intervention spéciale de l’Esprit pour remettre l’Église en marche dans la ligne du Concile, je me suis rendu à quelques reprises à ces Nuits de la Pentecôte qui réunissaient les fidèles du Renouveau pour une nuit complète de prière qui s’achevait au petit matin. Et nous sortions de la Basilique au soleil levant : spectacle magnifique !

Durant toutes ces années, il n’avait pas de relation à proprement parler avec saint Joseph. Celui-ci faisait partie du bagage du bon chrétien que j’essayais d’être. Il faisait partie du paysage. En termes plus techniques, il faisait partie des données connues de la foi chrétienne, données connues et respectées, mais sans que soit établi un rapport particulier avec lui.

Ce n’est que vers l’âge de 45 ans, alors que je vivais une épreuve terrible que je me suis mis à aller à l’Oratoire deux sinon trois fois par jour, pour repartir réconforté. Cela a duré quelques mois. Ainsi puis-je dire que je dois la vie à l’Oratoire !

En 1992, revenant d’un séjour d’un an à Boston College, aux États-Unis, récipiendaire d’une « Lonergan Post-Doctoral Fellowship », je me suis retrouvé aux éditions Fides. Et c’est là qu’on m’a offert de devenir directeur du centre de recherche et de documentation sur saint Joseph à l’Oratoire.

Je me souviens que, rencontrant à cette occasion le père Aumont, recteur du Sanctuaire à l’époque, celui-ci m’a demandé ce que je pensais de saint Joseph. J’ai eu cette réponse de Normand : « Je ne suis pas contre ! ». Qui se souvient du paysage théologique d’alors et du peu de considération dont jouissaient les dévotions populaires, bonnes pour le grand nombre sans grande formation, comprendra que c’était déjà beaucoup !

Et je me suis fait prendre au jeu. C’est là que j’ai noué avec saint Joseph une relation de plus en plus intense, le priant constamment de m’éclairer et de me guider. J‘ai entrepris sous sa guidance un renouvellement du Centre qui a permis de sauver la mise.

Trop souvent dans l’Église sinon dans la société tout entière, au Québec, les grands changements se font sous le mode : « On scrappe tout et on recommence ». Sous la guidance de saint Joseph, j’ai réussi à sauver l’héritage du Centre en l’inscrivant dans le contexte plus vaste d’une recherche sur saint Joseph, le frère André et l’Oratoire même; et en faisant basculer le Centre d’une accumulation de la documentation vers le don à la communauté chrétienne des fruits de cette recherche. Ce furent des années de publication intense.

Alors que j’étais sur la voie de garage à mon retour des États-Unis, saint Joseph m’a pris par le cou et m’a fait servir. Je serai éternellement reconnaissant envers celui qui m’a permis de réussir ma vie professionnelle tant au plan de l’étude que de la gestion.

Après huit ans à l’Oratoire, j’ai quitté pour me lancer dans une nouvelle aventure ; après huit ans où j’avais épuisé le matériel que je pouvais mettre dans le corridor théorique assez étroit du centre de recherche. Et je me suis lassé de la gestion : je dirigeais un centre de recherche et 50% de mon temps passait en gestion (comités, rapports, réunions de toute sorte).

Un petit groupe de gens concernés sont venus me parler d’un sanctuaire dédié à saint Joseph sur le mont Saint-Joseph dans la région de Mégantic en Estrie. Je n’en avais jamais entendu parler, mais à force d’insistance, ils m’ont décidé de me rendre sur les lieux. Je fus conquis et me suis dit en moi-même : c’est ici que je viendrai vivre ma retraite.

C’est ainsi qu’à l’été 2002, j’arrivai dans la région de Mégantic pour mener une vie d’étude et de prière, une vie d’ermite consacrée principalement à l’écriture. Avec une implication pastorale : m’installant dans les environs, je me suis mis à accueillir les gens en visite à la chapelle du mont Saint-Joseph.

Devenu le gardien, non pas en titre mais effectif, du sanctuaire, j’y montais trois à quatre fois par semaine en été pour assurer une présence chrétienne sur la Montagne. J’ai passé plus de quinze ans relié au sanctuaire, de 2002 à 2017 environ.

C’est ainsi que sans l’avoir cherché, je suis devenu l’ermite de Mégantic, ou l’ermite du mont Saint-Joseph, ou l’ermite de Saint Joseph, une figure connue dans la région.

Maintenant retiré, après une longue veille de plus de quinze ans, je vis maintenant dans une résidence pour aînés autonomes ou semi-autonomes dans le village de La Patrie. La statue de saint Joseph est en bonne place dans mon salon–salle de prière !

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Si j’essaie de conceptualiser mon évolution, je me dis que je suis passé d’une connaissance notionnelle de saint Joseph, comme d’une donnée faisant partie du message chrétien, à une dévotion de plus en plus intense envers lui.

À l’intérieur du bagage chrétien, une figure tout à coup s’illumine et une relation est entreprise avec elle. Cette dévotion est un attachement du cœur qui va s’accroissant. Saint Joseph devient une personne avec qui on converse, auquel on se confie et dont on suit les recommandations. Dans le monde invisible, quelqu’un est là qui écoute et qui parle, et qui pousse sur les événements pour les conduire à ses fins.

Tout ceci évidemment en ne perdant pas de vue que la foi chrétienne est d’abord l’établissement d’une relation vive à Jésus Christ. Mais le Seigneur vivant peut mettre sur notre route des saints, et ainsi saint Joseph, qui nous aident à bâtir quelque chose pour Lui.

De la connaissance notionnelle, donc, à la dévotion, la dévotion faisant entrer en relation, une relation interpersonnelle féconde en bonnes œuvres pour la Maison du Père.

Pierre Robert